Le code de la route actuel ne punit pas ceux qui roule mal, mais ceux qui roule beaucoup, tout en permettant aux plus informés des automobilistes d’échapper facilement à la répression aveugle et injuste organisée par ce texte mal ficelé.

Parce que les deux grandes idées des pouvoirs publics ont trop longtemps été la répression aveugle et la défiance envers les tribunaux, le pan répressif du code de la route est dorénavant confié à l’ordinateur du Ficher National des permis de conduire. Or, si, par définition, la justice rendue par une machine est fondamentalement injuste, il est également facile, pour le virtuose du code, de s’en jouer, car l’intelligence de l’homme sera, pour un moment encore, plus forte que la machine.

Pourquoi une telle évolution négative, qui s’éloigne du principe de la justice et, par voie de conséquence de l’efficacité ? On peut penser que le caractère spécifique du drame routier peut expliquer ce phénomène.

Alors que d’autres causes mortelles sont infiniment plus meurtrières, la mortalité routière, faible mathématiquement parlant, reste celle qui fait l’objet d’une attention particulière du public et qui est ressentie le plus douloureusement.

 

L’examen statistique démontre qu’environ 530 000 personnes (chiffres 2008) meurent chaque année en France. Dans tous ces décès, 160.000 sont dus au cancer, 66 000 au tabac, 45 000 à l’alcool, 19 000 aux accidents domestiques et 10 000 au suicide. Les décès liés à la circulation routière atteignent quant à eux le chiffre de 4 443, soit moins de 1 % des causes de décès, ce qui est proportionnellement très marginal.

La raison du caractère inacceptable et inaccepté de cette mortalité réside probablement dans trois facteurs, qui expliquent pourquoi l’opinion publique est meurtrie particulièrement par ce phénomène et pourquoi il en résulte une demande de réglementation très répressive, qui doit présenter un aspect d’inéluctabilité à laquelle personne ne peut échapper, même si, dans les faits, l’effet est exactement inverse.

 

En premier lieu, l’intervention du tiers dans l’accident permet d’affecter la responsabilité meurtrière à une personne désignée, et surtout d’appréhender la plupart des accidents automobiles comme mettant en jeu deux acteurs essentiels, la victime et le chauffard.

 

La cause de la mort n’est donc plus imputable à la victime elle-même, comme elle le serait dans le cas du suicide ou de la mort par tabagisme par exemple, mais à un tiers, qui n’est pas une victime mais, en quelque sorte, l’auteur de l’homicide.

 

Alors qu’on ne peut accabler une personne qui est l’auteur de sa propre perte, il est bien évident qu’on reprochera facilement et à raison à un tiers le fait d’avoir entraîné le décès d’une victime. Le malheur de cette dernière paraît alors encore plus intolérable puisque sa mort n’est pas due à une faute personnelle, mais à celle d’un autre qui, s’il ne l’avait pas commise, n’aurait pas «tué» sa victime.

 

Dans la plupart des accidents automobiles mortels, les victimes présentent un profil d’innocence objective qui, confronté à la culpabilité intrinsèque de celui qui conduisait l’autre véhicule, rend totalement insupportable la réalité macabre.

 

Le cri de la masse qui demande vengeance est alors un message fort pour le souverain qui est tenu d’y répondre ; et sa réponse est une répression que l’on présente comme inflexible et inévitable. Alors que, pour les infractions de droit commun, on peut toujours plaider devant le juge, invoquer les circonstances atténuantes, réclamer l’indulgence, les aménagements de peines, il faut que, en matière de crime routier, l’éventuelle clémence d’une juridiction ne puisse exister. Il s’agit de la demande la rue, satisfaite par les pouvoirs publics , qui ne s’aperçoivent pas que leur réponse purement démagogique fonde l’inefficacité de leur répression de papier.

 

En deuxième lieu, le caractère hautement public de l’accident automobile, du fait de sa fréquence et de son caractère spectaculaire, met ces tragédies à la lumière médiatique et attire particulièrement l’attention sociale. Les images d’un accident automobile sont atroces, et largement —ou complaisamment— diffusées par le support médiatique ; tandis que les autres causes de décès, privées et non spectaculaires, ne sont pas exposées au public. Cette publicité donnée au caractère dangereux de l’automobile a pour effet de confirmer dans l’inconscient collectif que l’automobile est un engin essentiellement homicide.

 

Alors que l’automobile représente un chiffre très marginal de la mortalité annuelle, la promotion médiatique effectuée autour de cette réalité la porte comme cause majeure, préoccupante, et surtout très présente à l’esprit du commun. En quelque sorte, la mortalité routière trouble spécialement l’ordre public, ce qui motive une attention spéciale de la part des pouvoirs publics, alors que le décès privé, comme l’accident domestique, n’a que peu d’incidence sur le plan public et ne fait logiquement pas ou peu réagir la structure sociale.

 

Cette relation de cause à effet s’observe dans le phénomène du suicide. En France, le suicide cause la mort de 10 000 personnes par an, soit deux fois plus que l’accident routier ; pourtant, le suicide ne fait pas l’objet d’une attention particulière des pouvoirs publics. Au Japon, le suicide avait pris une telle ampleur au 17ème siècle, que le gouvernement féodal l’interdit en 1663, en sanctionnant la famille du suicidé. Le suicide, en troublant l’ordre public japonais, devenait insupportable et était dès lors prohibé.

 

De la même façon bien moins mortel que l’accident domestique ou le suicide, l’accident de voiture, de par sa publicité, trouble de façon flagrante l’ordre public et le rejet social n’en est que plus violent.

 

En troisième lieu, on peut estimer que l’intervention du tiers dans le processus létal, c’est-à-dire le couple victime/chauffard, engendre un rapprochement entre l’accident de voiture et l’homicide coupable, qui intègre un responsable que l’on peut punir. Dans l’existence de l’accident, on peut toujours trouver une raison à ce drame, imputable nécessairement à un conducteur.

 

Il y a eu imprudence, négligence, maladresse, voire infraction. Il y a donc, dans l’enchaînement des faits matériels devant mener à l’accident mortel par l’usage d’automobiles, la présence systématique du facteur humain, lequel a toujours commis une faute personnelle qui a provoqué la survenance du fait dommageable.

 

De cette idée, on déduit qu’il existe chez le conducteur une sorte «d’iter criminis», un «chemin du crime» qui doit mener à l’infraction ou tout du moins à l’imprudence, cause de la mortalité routière. Or, la réaction publique à l’existence de l’intention criminelle a toujours été la réglementation, passant par la prohibition d’un fait et la sanction du manquement à la règle qui tente d’empêcher l’acteur juridique de poser un acte antisocial. La mortalité automobile, qui intègre la notion de culpabilité humaine, semble pouvoir être combattue par des moyens juridiques appropriés, comme une branche de la criminalité ; ce qui n’est assurément pas le cas des autres causes de décès.

 

Ces trois facteurs couples —existence d’un tiers responsable/victime innocente, trouble visible à l’ordre public/nécessité de rétablir cet ordre public, existence de l’intention criminelle/espoir de vaincre cette intention— font que la demande sociale de réglementation répressive concernant « l’automobilisme» a été vite et bien perçue par les pouvoirs publics, générant le droit de la circulation routière, de 1893 à nos jours, dont la philosophie reste sous-tendue par cette idée récurrente d’un statut exceptionnellement dangereux de l’automobile, justifiant un régime juridique d’exception, passant par la sanction automatique, à laquelle on ne peut, ou devrait pouvoir, échapper.

Fort de cette explication, on ne peut toutefois établir qu’un constat d’échec, car la problématique qui vient d’être exposée n’a jamais été comprise par les responsables de la sécurité routière en France qui ne pensent, comme tous les hommes politiques, qu’à être élus et non à gouverner pour le bien du peuple français.

 

Afin d’illustrer le propos critique que nous venons de tenir à l’encontre du code de la route, il sera exposé ici quelques exemples de dysfonctionnements, frappant l’automobiliste plus durement que n’importe quel délinquant de droit commun. C’est parce qu’existe dans le code de la route ce type d’erreur théorique, que nous l’estimons mal conçu, et inapte à atteindre le but fondamental, que nous recherchons tous, de la sécurité routière.

 

 

 

1. La vitesse et le mythe de l’hécatombe routière

 

La bête noire des pouvoirs publics, la cause exclusive des 4 000 morts annuels sur nos routes est, selon les pontes de la sécurité routière, la  vitesse, et, par voie de conséquence, la faute exclusive des automobilistes. Dès qu’un accident grave endeuille le pays, systématiquement, mathématiquement, le conducteur était en excès de vitesse. Pas d’autre explication. L’état du véhicule, le comportement du conducteur, l’état de la chaussée, les conditions climatiques, la densité de la circulation, le type d’infrastructure, tous ces éléments sont oubliés au profit du seul «vrai et beau» coupable : l’excès de vitesse.

 

Cette vision ultra simpliste est celle des pouvoirs publics. Lorsqu’un accident grave survient, nécessairement médiatique, l’explication officielle ne peut revêtir que deux explications : le conducteur était sous l’empire d’un état alcoolique et/ou il roulait beaucoup trop vite. Si ce cas de figure peut évidemment être exact, il est beaucoup trop réducteur d’estimer que la totalité des accidents mortels sont dus à ces deux seuls facteurs. Qu’arrivera-t-il le jour où un conducteur parfaitement sobre viendra renverser un piéton alors qu’il roulait à 30 km/h en ville ? comment les pouvoirs publics expliqueront cet accident ?

 

Si, nécessairement, nous partageons l’idée selon laquelle la consommation d’alcool, même réduite, est une cause évidente de l’accident du fait de l’altération des facultés du conducteur, le problème est très différent en ce qui concerne la vitesse, qui peut ne présenter aucun danger lorsque les conditions d’utilisation du véhicule automobile sont optimales.

 

La vitesse n’est pas la cause des accidents ; elle en est toujours un facteur aggravant. La constatation de cette évidence ne doit toutefois pas remettre en cause l’usage automobile ; et il est certain que, si les véhicules ne se déplaçaient pas, il n’y aurait jamais d’accident. Cette lapalissade ne fait toutefois pas vraiment avancer le débat.

 

Le déplacement de mobile pesant au moins une tonne, en sens contraire, implique par définition la survenance d’accidents par choc de ces mobiles entre eux, et jamais, la sécurité routière ne parviendra à obtenir le «zéro accident». Le nombre d’accidents doit ainsi s’apprécier par rapport au «chiffre frictionnel», c’est à dire le nombre le plus restreint qu’il soit possible d’atteindre en prenant toutes les mesures et précautions pour assurer la sécurité sur la route.

 

Ce chiffre frictionnel ne sera sûrement pas atteint si l’on se trompe de cible, comme le fait actuellement la politique répressive des pouvoirs publics. Quelques chiffres permettent de s’en convaincre : sur les 4 942 tués sur les routes de France en 2006, 296 ont trouvé la mort sur l’autoroute, sachant que, sur ces 296 tués, 18 % sont estimés uniquement dus à une vitesse excessive, et 18 % à l’assoupissement. Ainsi, 54 conducteurs sont réputés avoir été victimes d’un accident mortel sur l’autoroute en raison d’une vitesse inadaptée, soit environ 1, 1 % du chiffre total des tués.

 

Malgré cette constatation objective, au terme de laquelle la vitesse en elle-même n’est qu’une cause totalement marginale d’accident mortel sur l’autoroute, la politique de sécurité routière est toujours d’incriminer la vitesse comme le grand satan de la route, et de concentrer les contrôles de vitesse sur les autoroutes, en multipliant les machines à sous automatiques, précisément là où la vitesse est la moins dangereuse.

 

Il y a ainsi erreur de cible au travers d’une fiction qui est le mythe de l’hécatombe routière, et les vraies causes des accidents de la route sont négligées : a-t-on déjà vues des campagnes intenses de sensibilisation à l’assoupissement, au contre-sens sur les voies rapides (accident toujours très graves et très meurtriers), aux conditions météorologiques ?

 

L’alcool et le tabac tuent à eux deux 110 000 personnes par an, soit 23 fois plus que la route. L’accident domestique emporte 19 000 vies par an. Observe-t-on dans les médias d’intenses campagnes de prévention et de sensibilisation sur ces fléaux ?

 

 

 

La route est dangereuse, incontestablement ; un seul mort est toujours de trop, évidemment, mais il faut calculer objectivement la dangerosité d’une activité par le rapport qui existe entre le nombre d’utilisateurs et les accidents qui en découlent.

 

Pour donner un exemple, une activité qui recenserait une vingtaine de pratiquants et qui engendrerait une dizaine d’accidents mortels par an devrait être considérée comme extrêmement dangereuse et générer un interdit social. A l’inverse, une activité pratiquée par des millions de personnes, parcourant des millions de kilomètres génératrice de 4000 accidents mortels par an ne peut être considérée comme une activité à très haut risque, ce qui n’empêche évidemment pas de chercher la situation de sécurité maximum.

 

Dire qu’il existe une situation d’hécatombe routière est un mensonge ; dire que la vitesse est le facteur principal des accidents est un deuxième mensonge ; estimer que le combat pour la sécurité est une cause nationale est une vérité, qui ne pourra être atteinte que si les pouvoirs publics sont sincères et cessent de tromper les usagers sur les véritables causes de l’insécurité routière.

 

L’exemple est assez symptomatique dans l’examen d’un des accidents les plus graves de France : le carambolage de Bourg Achard, sur l’autoroute A13 le 21 octobre 1997. Un bilan totalement apocalyptique : 120 véhicule impliqués, 80 blessés, 18 morts. Lors du procès à BERNAY en octobre 2000, très médiatisé, la vitesse a été la principale accusée. Lorsque l’on connaît le dossier, on s’aperçoit que les conducteurs en cause évoluaient sur l’autoroute dans un brouillard très épais, qui s’éclaircissait parfois, donnant ainsi l’illusion de pouvoir rouler un peu plus vite, et qui soudainement devenait si épais que la visibilité était inférieur à 10 mètres. L’enquête à montré que les conducteurs circulaient entre 40 et 80 km/h. Il est bien évident qu’une vitesse de 50 ou 60 km/h, voire 80 lorsque la visibilité devenait meilleure, n’était pas déraisonnable ; à Bourg Achard, le seul et vrai coupable était le brouillard et assurément pas la vitesse.

 

Que les choses soient claires ici : il n’est pas question de défendre l’absence de limitation de vitesse ni la déraison ; il est seulement question de ne pas se tromper d’objectif et de perdre l’énergie nécessaire à se battre contre des moulins à vent. La limitation de vitesse à 130 sur les autoroutes est ridicule, inapplicable et inappliquée. Qui, automobiliste, policier, avocats, pompiers, médecins, magistrat, procureur, députés, ministre, délégué interministériel à la sécurité routière, aurait le culot de soutenir qu’il n’a jamais dépassé le 130 sur autoroute ? si vous deviez rencontrer un tel phénomène, soyez assuré de faire face à un menteur.

 

A l’inverse, la limitation de vitesse en agglomération ou sur les routes nationales (870 morts en 2006) et départementales (2 591 morts en 2006), les plus meurtrières, se justifie pleinement. Tant que la réglementation ne sera pas crédible, et c’est le cas de la limitation sur l’autoroute, elle ne sera pas respectée.

 

Car, étant entendu qu’aucun d’entre nous ne respecte la limitation à 130, le même raisonnement est tenu pour les autres limitations qui, elles, trouvent toute justification.

 

Par l’absence de crédibilité – vitesse limite sur l’autoroute irréelle- le code de la route perd tout sérieux sur l’ensemble de ces prescriptions.

 

Et que dire sur le caractère payant des autoroutes ? Etant précisé que ces voies sont les plus sûres, qu’il s’y produit moins de 300 cas mortels par an, les pouvoirs publics ne trouvent rien de mieux que de rendre l’utilisation des ces voies totalement exorbitantes.

 

Une seule mesure, celle de la gratuité des autoroutes, et le chiffre de morts annuels chuterait immanquablement. Il faut prendre conscience que l’usage de l’autoroute n’est pas à la portée de toutes les bourses et qu’un grand nombre de personnes aux revenus modestes préfèrent utiliser les nationales, largement plus dangereuses, plutôt de payer deux fois, puisque sur les longs trajets, le coût de l’autoroute est au moins égal à celui du carburant. La seule gratuité des autoroutes permettrait de sauver des milliers de vies, mais cela, le ministère des transports ne veut pas l’entendre, car générateur d’une perte financière importante.

 

L’Etat est le premier meurtrier de France sur les routes, c’est aussi pour cette raison, pour cacher sa véritable culpabilité, que le mythe de l’hécatombe routière a été inventé.

 

En adoptant une réglementation inadaptée, inapplicable, les pouvoirs publics provoquent eux-mêmes l’infraction, comme à la période de la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis : interdire une activité humaine sans que le fondement  de cette interdiction ne trouve une légitimité intrinsèque, ressentie par tous d’un point de vue moral est l’assurance de la transgression. S’il venait un jour à un gouvernement l’idée saugrenue d’interdire de manger du beurre, il est absolument certain qu’immédiatement une contrebande de beurre très active verrait le jour. Non que les citoyens sont fraudeurs dans l’âme, mais plutôt que la mauvaise interdiction engendre la fraude systématique, car une mauvaise loi n’est pas une loi.

 

 

Ainsi, parce que la limitation de vitesse sur autoroute n’a pas de sens, la fraude est un sport national pour les automobilistes qui cherchent à échapper à la répression illégitime et pour les virtuoses du code de la route, cette activité est plutôt efficace. C’est précisément parce que le code de la route est mal rédigé et se trompe de cible que les virtuoses précités parviennent à passer au travers des mailles du filet ; et cette rupture d’égalité entre les conducteurs bien informés et ceux qui n’ont pas les moyens d’acquérir ce savoir est une des aspects les plus choquant de la politique de sécurité routière actuelle.

 

En premier lieu, un simple calcul permet d’évoluer à environ 180 km/h au compteur sur autoroute sans véritablement de risque, autre que financier. Il faut en effet savoir que les compteurs automobiles sont très rarement justes et la vitesse indiquée est d’environ inférieure de 10 à 5 km/h pour les plus justes. Il faut également savoir que la réglementation en vigueur exige d’appliquer une pondération entre la vitesse relevée à l’encontre d’un automobiliste et celle qui sera finalement retenue pour fonder les poursuites. Cette pondération résulte d’un calcul plutôt complexe et revient, approximativement à retirer de 5 à 8 km/k à la vitesse relevée.

 

Ainsi, un automobiliste qui circulera à 175 km/h au compteur et passera devant un cinémomètre verra sa vitesse relevée d’environ 170, pour une vitesse retenue de 166 km/h, soit un dépassement de 36 km/h. Or, ce dépassement étant inférieur à 40 km/h, il ne risquera qu’une simple amende et une perte de trois points, sans que son permis de conduire soit mis en danger. Sachant que le permis à points est un système extrêmement défaillant et qu’il est assez simple de s’en défendre (voir infra), le seul risque n’est finalement que financier.

 

Cet état de fait, qui résulte de la forfaitarisation de la plupart des infractions est finalement choquant puisqu’il est possible, pour les plus fortunés, de rouler sans grand inconvénient à 175 km/h sur l’autoroute, tandis que le conducteur aux revenus modestes devra lui se traîner à 130. A-t-on déjà vu réglementation plus élitiste et discriminatoire ?

 

Pour terminer le chapitre de la réglementation sur la vitesse, il faut aborder les nouvelles dispositions de 2001 qui permettent de retirer le permis de conduire immédiatement en cas d’excès de vitesse de plus de 40 km/h. Ces dispositions, qui violent les principes les plus élémentaires, et notamment la présomption d’innocence, fonde l’injustice et l’arbitraire le plus total, légitimant ainsi la résistance de l’automobiliste par l’usage d’astuces juridiques permettant d’échapper à ces atteintes insupportables à notre droit.

 

 

La loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 concernant la sécurité générale est en effet venue très discrètement, modifier le code de la route, pour un changement quant à lui tout à fait substantiel dans la vie de l’automobiliste. L’article 20 de cette loi vient donner aux agents verbalisateurs un pouvoir tout à fait exorbitant, leur permettant de procéder à la rétention immédiate, sur le bord de la route et quelques secondes après la constatation de l’infraction, du permis de conduire pour une durée de 72 heures dans certains cas d’excès de vitesse.

 

Le principe de la rétention existait en matière de conduite en état d’alcoolémie et répondait à la nécessité bien légitime d’empêcher un conducteur hors d’état de conduire du fait de son état d’ivresse de reprendre immédiatement la route. Cette mesure produisait ses effets pendant 72 heures, à l’issue desquelles le permis de conduire était restitué à l’intéressé, à moins que dans l’intervalle le pouvoir préfectoral ne prenne un arrêté de suspension provisoire d’urgence du permis de conduire, ce qui en pratique est toujours le cas.

 

Cette possibilité a été étendue aux excès de vitesse de plus de 40 km/h au-dessus de la vitesse autorisée. Ainsi, lorsque l’excès de vitesse sera relevé par cinémomètre et le conducteur immédiatement intercepté, les agents verbalisateurs pourront retenir le permis de conduire immédiatement et laisser le conducteur au bord de la route, privé soudainement du droit de conduire.

 

Cette extension est évidemment aberrante, puisque l’on voit mal en quoi il est impératif d’empêcher un conducteur qui vient de commettre un excès de vitesse de reprendre la route.

 

Si on conçoit bien la nécessité de priver du droit de conduire un conducteur en état d’ébriété durant un délai permettant de recouvrer ses esprits, et 72 heures semble un délai largement suffisant, il n’existe aucune justification de fait ou de droit permettant d’appliquer ce même délai à l’auteur présumé d’un excès de vitesse. On s’interroge effectivement sur l’effet du délai de 72 heures sur le conducteur : ce dernier est-il susceptible de ne plus commettre d’excès de vitesse trois jours plus tard ?

 

En réalité, cette modification vise, une fois de plus, à «court-circuiter» les tribunaux de police et à permettre l’application d’une peine de suspension de permis de conduire de façon immédiate, sans aucune procédure contradictoire, sans droits à la défense, sans jugement et sans voie de recours. En outre, la privation immédiate, sur le bord de la route, est d’un point de vue psychologique très marquant pour les conducteurs puisque la sanction tombe brutalement, sans aucune possibilité d’aménagement et de défense.

 

Si l’effet médiatique est certes très réussi, cette disposition enfreint les règles les plus élémentaires de la Justice. Ce type de modification, dérobée aux parlementaires car incluse dans une grande loi générale sur la sécurité, et ne faisant ainsi pas l’objet de discussions approfondies, est évidemment particulièrement scandaleuse.

 

Comme à l’habitude, ce type de texte, pensé, rédigé et voté sans véritable réflexion sur les incidences juridiques n’est pas sans poser de graves difficultés d’application.

 

En effet, cette modification, on l’a vu, ne fait qu’étendre la possibilité de rétention du titre de conduite pendant 72 heures. Passé ce délai, le droit de conduire retrouve toute validité et le titre de conduite doit être remis à l’intéressé.

 

Il est bien évident que, dans la totalité des cas, le pouvoir préfectoral fera usage du droit de suspendre le permis de conduire par arrêté préfectoral. L’intéressé ne récupérera donc pas son titre de conduite, puisque lorsqu’il se présentera à ses verbalisateurs à l’issue des 72 heures, ces derniers lui remettront non son permis de conduire mais un arrêté de suspension préfectoral.

 

Toutefois, si ce conducteur patiente 72 heures et ne cherche pas à récupérer son titre de conduite, et qu’il se soustrait, ou tente de le faire, à la notification (par lettre RAR) d’un éventuel arrêté de suspension préfectoral, il possédera à nouveau le droit de conduire indépendamment de la possession matérielle du titre de conduite. Etant entendu qu’il n’existe pas de délit de «refus de recevoir notification d’un arrêté de suspension de permis», ce conducteur sera alors titulaire du droit de conduire, sans risque de poursuite, et pourra utiliser son véhicule dans l’attente de la citation devant le Tribunal de Police, devant lequel il lui sera loisible de solliciter un aménagement de la peine de suspension.

 

Cette faille n’a pas été vue par les rédacteurs de ce texte ; il est vrai que cette «parade», fort contingente ne sera efficace que dans les cas de suspension courte, de l’ordre d’un mois, tant il sera difficile pour un conducteur de se soustraire éternellement à la notification de l’arrêté de suspension.

 

Toutefois, tant que l’intéressé n’aura pas été touché officiellement par la notification de l’arrêté (par exemple si la lettre recommandée ne peut lui être notifiée en raison d’une erreur d’adresse), il gardera le droit de conduire, au-delà des 72 heures, et ce malgré la rétention de son titre de conduite.

 

 

Reste qu’il est tout à fait certain qu’un tel texte viole les principes fondamentaux de notre droit et fonde l’arbitraire complet, permettant d’appliquer une sanction rigoureuse à un individu dont la Loi nous dit qu’il est présumé innocent. L’agent verbalisateur devient, avec le nouvel article L. 224-1, agent de constatation, ministère public, juge de police, juge d’appel et enfin bourreau chargé d’appliquer immédiatement la peine prononcée par lui-même, à savoir la privation du droit de conduire pendant 72 heures.

 

Les règles du jeu n’étant pas jouée par l’Etat, et ce texte en est une illustration, il ne faut dès lors pas s’étonner que les administrés et les professionnels de la matière cherchent avec application non à exercer justement les droits de la défense, mais plutôt à développer les techniques habiles qui permettront de détourner et d’échapper à des textes juridiquement ineptes et surtout injustes.

 

L’Etat triche, l’automobiliste aussi, la seconde fraude étant la conséquence légitime de la première.

 

 

 

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2. Le permis à point

 

Institué en 1989, le permis à points est l’exemple type de ce ne qu’il ne faut pas faire en matière de droit de la circulation routière. Ce système est injuste, inefficace et se paye en sus le luxe d’être plus rigoureux avec les conducteurs les plus démunis, tandis que certains s’en affranchissent totalement.

 

Injuste, car le permis à points est l’archétype de la sanction automatique, gérée par ordinateur, sans intervention de l’humain. Le barème de points est en effet mathématique : un feu rouge coûte quatre points, quelque soient les circonstances et/ou la sanction prononcée par le Tribunal. Si l’on considère brutalement, sans discernement, le franchissement d’un feu rouge, l’homme de la rue, qui considérera qu’il respecte toujours les feux rouges, va estimer que cette infraction est extrêmement grave, qu’elle met la vie d’autrui en danger et qu’il est bien mérité de retirer quatre points. Mais l’examen subjectif, au cas par cas, montre qu’il y à de bien différentes façon de franchir un feu rouge.

 

Considérons deux situations : Le premier conducteur est un inconscient. Il est très pressé, il circule en pleine ville et il est 22 h. La circulation est très fluide, personne aux alentours. Il arrive sur un feu rouge, va ralentir son allure au maximum et, estimant qu’aucun autre véhicule ne circule sur la voie perpendiculaire, va se permettre de passer le signal au rouge. Voilà typiquement le comportement d’une dangerosité maximum, qui s’observe essentiellement la nuit. Ce type de franchissement, générateur d’accidents graves, car évidemment ce conducteur peut se tromper et n’avoir pas vu un véhicule arriver, doit être sanctionné par les tribunaux à hauteur de la gravité de la faute. L’ordinateur du permis à points, lui, dira : moins quatre points. Très bien.

 

Notre second conducteur est vous et moi. Il circule tranquillement en plein Paris à 14 h. Avenue des Champs-Elysées, pris dans un torrent de véhicule, il va franchir un feu qu’il voit orange, mais tellement mûr que le policier qui se trouve à côté l’estime rouge. C’est la verbalisation. L’action s’est déroulée à 5 km/h, la dangerosité est nulle compte tenu de l’embouteillage maximum de cette avenue. Le Tribunal de Police tiendra compte évidemment de cette circonstance, et la sanction se limitera à une simple amende, histoire de rappeler à ce conducteur qu’il doit rester vigilant. L’ordinateur du permis à points dira : moins quatre points.

 

D’un côté, un magistrat, humain, intelligent, attentif et finalement, rendant la Justice. De l’autre côté, un ordinateur, stupide, dramatiquement automatique, qui frappe aveuglément, avec la même force, le conducteur qui à posé une petite inattention sans conséquence et celui qui met son prochain en danger.

 

Voilà le vrai visage du permis à points.

 

Il y a par an 85 000 conducteurs victimes de cette machine infernale. 85 000 personnes qui se voient privées du permis de conduire, et souvent privées du droit de travailler parce qu’une machine folle, quelque part, a décidé dans son despotisme informatique de retirer les points affectant son permis de conduire. La route fait bien plus de 4 000 victimes, en réalité il y a en France 89 000 victimes de la circulation routière.

 

Que l’on soit bien claire, à nouveau : pas question de dire qu’on ne doit pas sanctionner. Il existe des comportements inacceptables qui doivent être punis, parfois très durement. Mais l’on doit sanctionner justement et pas aveuglément.

 

 

 

 

 

La pratique professionnelle permet d’observer des cas proprement scandaleux : comment accepter qu’un conducteur perde son permis de conduire parce qu’il n’a pas bouclé sa ceinture à trois ou quatre reprises sur dix ans ? comment peut-on accepter que 86 personnes, en 2010, aient perdu le droit de conduire en ayant commis sur plusieurs années que des petits excès de vitesse inférieurs à 20 km/h (1 point à chaque fois) ?

 

Car c’est bien la réalité du permis à points, en raison du mécanisme diabolique de la reconstitution tous les trois ans (et non deux ans comme le veut la rumeur), interrompue par la commission de toute nouvelle infraction, il est tout à fait possible, en omettant de boucler sa ceinture un fois tous les trois ans, de se voir annuler son permis pour défaut de point pour une ceinture oubliée il y a dix ans.

 

On dira qu’un conducteur qui est verbalisé 4 fois pour avoir omis de boucler sa ceinture est quelqu’un de négligent et qu’il mérite bien son malheur. On répondra que toute sanction doit être proportionnée et que, même si, effectivement,  ce conducteur est fâché avec le principe de la ceinture, ces petites négligences à répétition ne peuvent justifier une sanction si sévère que l’annulation du permis de conduire.

 

Jamais un magistrat censé n’annulerait le permis pour le défaut de port de ceinture de sécurité ou pour un excès de vitesse très réduit sur l’autoroute.

 

L’ordinateur du permis à points, lui, n’hésite pas une seconde, sans tenir compte de la situation personnelle de sa victime.

 

Le permis à points n’hésite pas à annuler les permis de conduire sans discernement, provoquant licenciement et drames familiaux.

 

Toute personne attentive aux droits de l’homme ne peut rester insensible à cette injustice. Le permis à points doit être combattu par tous les moyens, car il s’agit d’un fléau de la route, une gangrène qui aligne ses victimes inexorablement, sans aucun contrôle.

 

Il faut savoir qu’une mauvaise loi n’est pas une loi. La loi de 1989 est une loi scélérate et l’ensemble des moyens, allant de la petite astuce à la technique purement juridique doivent être utilisé pour contrecarrer le système du permis à points.

 

 

 

 

Il est en effet simple d’échapper au mécanisme du permis à points, ce qui fonde d’ailleurs la seconde injustice de ce système : les plus chanceux pourront rouler sans être soumis au permis à points, dotés d’un capital de points infini, les autres, l’homme de la masse, se verra attribuer ses douze points faméliques et les verra fondre rapidement comme beurre au soleil.

 

La première technique pour ne pas perdre ses points est de ne jamais régler les amendes forfaitaires. La loi de 1989 exige en effet, ce qui est la plus pure logique, que les points ne soient retirés que lorsque l’amende forfaitaire est réglée. Cette technique n’est évidemment valable que lorsque l’infraction est passible de la procédure de l’amende forfaitaire.

 

Tant que l’amende forfaitaire n’est pas réglée, la perte de points est strictement impossible et si, d’aventure, l’administration tentait de retirer quand même les points, ce qui en pratique est fréquent, il est alors très aisé de faire annuler cette décision devant le Tribunal Administratif. Quand on sait que le traitement complet d’une amende forfaitaire, en cas de contestation judicieusement organisée, peut aller jusqu’à deux voire trois ans, il est assez facile, dans ce cadre de ne pas perdre de points et d’échapper ainsi à cette machine diabolique mangeuse de permis de conduire.

 

La seconde technique est de relever l’absence  de la délivrance de l’information réglementaire. Le fonctionnement du permis à points repose en effet sur le principe de l’érosion progressive du capital de points, censée inspirer la crainte chez le conducteur de voir son permis de conduire disparaître et par là même modifier son comportement routier. Reste que lorsque le conducteur est verbalisé, il doit recevoir des mains de l’agent verbalisateur une information complète sur le fonctionnement de la perte de points, qui se matérialise par la remise d’un imprimé de type CERFA.

 

Le défaut de remise de cet imprimé fonde l’illégalité de la perte de points. Il sera ensuite possible de faire annuler la décision de perte de points, voire la décision d’annulation de permis de conduire pour défaut de point, en soulignant n’avoir pas reçu l’imprimé réglementaire.

 

Il faut savoir qu’en pratique, les agents verbalisateurs oublient souvent de délivrer ce document.

 

Grâce à ce type de technique, le permis à points fonctionne mal, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Grâce au droit, il est facile de récupérer les points et les permis dévorés par ce mécanisme inique.

 

 

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3. La responsabilité pénale pour faits d’autrui

 

L’évolution récente du code de la route, qui tend vers l’automatisation et vers le principe de la responsabilité pénale du seul propriétaire en est la porte ouverte à toutes les fraudes imaginables, et nous verrons plus loin qu’avec les nouvelles mesures un conducteur bien informé voit la limitation de vitesse disparaître dans certaines conditions.

 

Le principe de la responsabilité pénale pour faits d’autrui qui existe dans le code de la route est un cas unique dans le droit français, qui ne se rencontre dans aucune autre matière. Il s’agit de la violation la plus patente et la plus grossière des principes de base de notre droit. Un tel système heurte même le bon sens : il s’agit de faire subir une sanction à quelqu’un qui n’a pas commis l’infraction considérée.

 

Ce mécanisme existe pour les infractions au stationnement, pour les excès de vitesse et le défaut de respect des signaux d’arrêt (STOP et feux rouges). Dans l’ensemble de ces matières, dès que l’infraction est relevée, le titulaire de la carte grise va voir peser sur lui la charge de l’amende encourue, sans que l’administration ait à établir sa culpabilité personnelle. Pire : en matière de stationnement, même si l’intéressé parvient à établir qu’il n’était pas le conducteur au moment des faits, il sera tout de même tenu au paiement de l’amende, à moins de dénoncer le véritable conducteur.

 

Concernant les excès de vitesse, si le conducteur ne peut être identifié (photographie de mauvaise qualité, infraction relevée au vol), le titulaire endossera ici encore la responsabilité et paiera l’amende, à moins qu’il ne régularise une dénonciation en bonne et due forme (pour la Kommandantur, première à gauche)…

 

Nous voici de retour en 1940, où l’exercice de dénonciation de son prochain était une occupation nationale. Le code de la route incite ouvertement à la délation et c’est franchement répugnant.

 

 

 

 

 

Le mécanisme de la responsabilité pénale pour faits d’autrui contenu dans le code de la route est un système sale, qui couvre de honte ceux qui l’ont inventé.

 

Alors, conducteur, choisissez votre camp : le code de la route et sa francisque, ou la résistance et le poids des amendes pour des faits que vous n’avez pas commis.

 

C’est précisément parce que le code de la route est injuste, qu’il est en partie fondé sur la violation des principes les plus élémentaires, qu’il n’est pas respecté, car il n’est pas respectable. Il s’agit d’un phénomène classique et fondamentalement normal : le citoyen, injustement oppressé, n’intègre pas la nécessité de respect de la mauvaise règle ; il ne la comprend pas et la subit contre son gré.

 

Lorsque la sanction tombe, elle n’est pas admise comme la juste contrepartie d’une faute, mais comme une violence illégitime exercée par l’autorité à laquelle on ne peut, de fait, se soustraire. La réaction défensive du citoyen est alors de tenter de se soustraire, avec les moyens dont il dispose.

 

Or, il est assez simple d’échapper à la verbalisation lorsqu’elle est effectuée sans indentification du conducteur, il suffit simplement de connaître les bonnes recettes.

 

Ce qui n’est pas compris par les responsables de la sécurité routière est que la triche engendre la fraude. Lorsque l’on joue au jeu de la vie sociale, et que l’un des joueurs triche de façon éhontée, les autres se classent en deux catégories : ceux qui persistent à jouer loyalement, en respectant les règles ; ceux-là sont les dindons de la farce. Et ceux qui tentent d’utiliser les mêmes armes que leur indélicat adversaire et qui finissent pas mieux tricher que lui ; ceux-là sont les vrais citoyens.

 

Nous préférons nous classer dans les seconds et enseigner aux premiers comment relever la tête.

 

 

4. L’exécution provisoire : pendre d’abord, juger après !

 

L’article L. 224-13 du Code de la route permet d’appliquer les peines affectant le permis de conduire, dès le premier juge, quand bien même une voie de recours serait exercée, qui ne serait suspensive que pour la peine d’amende. La peine sera donc subie provisoirement, jusqu’à l’appel devant la Cour.

 

Cette originalité mérite d’être examinée, car il n’est que peu fréquent qu’une peine puisse être purgée, souvent totalement, avant même qu’elle ne devienne définitive. Il n’est pas plus courant, surtout sur le plan de la théorie juridique, qu’une peine pénale soit appliquée, autre que pécuniaire, alors même qu’une voie de recours est exercée par le prévenu. En matière de circulation, les trois peines affectant le permis de conduire sont les peines de suspension et d’annulation de permis de conduire, ou de l’interdiction de solliciter un permis lorsque l’intéressé n’en est pas titulaire.

 

L’examen du fonctionnement de ces peines restrictives du droit de conduire montrent que celles-ci peuvent être sévères, et priver du droit de conduire une personne pour de très longues périodes. La sévérité de ces peines répond légitimement au besoin d’empêcher les conducteurs ayant prouvé leur dangerosité dans la conduite d’un véhicule. C’est dans ce cadre que le code de la route a prévu une disposition originale, qui permet d’ordonner l’exécution provisoire de ces peines. La décision d’annulation ou de suspension devient alors applicable dès son prononcé devant le premier tribunal.

 

La peine est subie immédiatement nonobstant un éventuel recours. En outre, il n’existe pas de mécanisme d’indemnisation du conducteur qui subirait une peine de suspension provisoire et qui se verrait soit relaxé par la Cour, soit qui verrait sa peine diminuée. Le fait d’avoir subi, par le truchement de ce mécanisme, une peine plus longue que celle finalement prononcée, n’a pas donc de conséquence sur le plan juridique et n’ouvre aucun droit à indemnisation, ce qui est tout de même particulièrement choquant.

 

Face à un tel système pour le moins dérogatoire, il faut s’interroger sur sa régularité par rapport aux principes fondamentaux tant ce mécanisme ressemble au principe cher au Far-west «pendre d’abord, juger après», qui s’accommode assez peu à l’idée de droits de l’homme.

 

Sur le plan du fait, l’utilisation de l’article L. 224-13 CR a pour effet de faire subir au prévenu l’intégralité de la peine de suspension prononcée, nonobstant les voies de recours utilisées. En effet, si les durées maximales sont relativement longues, les peines prononcées, notamment devant le tribunal de police sont rarement très sévères.

 

Pour une infraction classique (feu rouge, STOP, excès de vitesse supérieur à 40 km/h), l’éventuelle peine de suspension de permis ira, en moyenne, de quinze jours (peu sévère) à quatre mois (relativement sévère) en passant par 60 jours (moyenne globale).

 

Pour la grande majorité des cas, la peine de suspension de permis prononcée est inférieure à quatre mois et dans presque tous les cas inférieure au délai classique d’appel en matière de police ou correctionnel, d’environ six à huit mois. Le délai de cassation, entre la décision du juge d’appel et l’arrêt de la Cour de Cassation est en matière pénale d’environ dix à douze mois. La computation des délais moyens nous indique donc qu’un automobiliste épuisera toutes les voies de recours dans un délai moyen de 16 à 20 mois. Ces notions de délais montrent que dans presque tous les cas, le prononcé de l’exécution provisoire a pour effet concret de faire subir à l’intéressé la totalité de sa peine avant que le juge d’appel, voir le juge de cassation, ne se penche sur la cause. L’observation concrète de l’usage de l’article L. 224-13 CR montre que lorsque l’exécution provisoire est prononcée au niveau du premier juge, le prévenu subira entièrement sa peine quelle que soit l’issue du procès pénal.

 

Cette constatation est nécessairement troublante, puisque ce mécanisme engendre donc le fait pour un prévenu de subir entièrement une peine, indépendamment des voies de recours exercées, et sans qu’une éventuelle relaxe ou réforme du jugement n’emporte un quelconque effet.

 

Dans les faits toutefois, la mesure de l’article L. 224-13 CR est rarement utilisée. Mais les cas de son utilisation nous semblent symptomatiques de l’esprit de ce texte. La mise en œuvre de l’exécution provisoire s’observe sur le terrain dans trois types de dossiers. Le premier cas de figure semble être celui qui correspond à un usage «honnête», ou en tout cas conforme au but qui semble recherché par cette disposition, essentiellement orientée vers la notion de «mesure de protection».

 

Il s’agit du cas de jugement d’infractions particulièrement graves ou nombreuses, et quand la suspension administrative de permis éventuellement prononcée a cessé ou va cesser de produire ses effets et que le juge peut craindre que le conducteur qu’il est en train de juger ne retrouve trop tôt le droit de conduire.

 

Dans ce cas, l’exécution provisoire recouvre vraiment l’idée de protection des tiers, en privant du droit de conduire de façon immédiate un conducteur dont on peut craindre la dangerosité malgré le fait qu’il ne soit pas encore jugé. On retrouve ici, en quelque sorte, le fondement de l’existence de la détention provisoire.

 

 

 

 

 

Le deuxième cas de figure d’utilisation de l’article L. 224-13 CR se justifie nettement moins. Il se rencontre dans les dossiers dits «délicats» ou sans être grave l’infraction est déplaisante pour le tribunal. Il peut s’agir d’infractions dénotant l’intention de son auteur de résister à l’autorité : conduite sans permis malgré une décision judiciaire de suspension (infraction très mal perçue, et à raison, par les tribunaux), refus d’obtempérer (idem), il peut s’agir également de dossiers dans lesquels le juge est «indisposé» par l’attitude du prévenu : comportement à l’audience, éléments du dossier (propriétaire du véhicule qui refuse de dénoncer le conducteur et qui est finalement poursuivi lui-même à l’issue de l’enquête, ou conducteur masqué sur la photographie, etc.). Dans ces dossiers, les tribunaux peuvent être tentés de prononcer l’exécution provisoire pour «punir» le prévenu plus durement, puisque le magistrat sait que la peine sera subie malgré la voie de recours éventuellement utilisée par le prévenu. Cet usage est évidemment totalement abusif ; ce cas n’est heureusement pas fréquent.

 

Le troisième cas de figure se rencontre, étrangement, dans les dossiers pour lesquels le magistrat entend être agréable au prévenu. En effet, lorsqu’un prévenu se présente devant le tribunal de police pour une infraction à la vitesse par exemple, il est fréquent que celui-ci soit  déjà sous le coup d’une suspension administrative d’une durée plus longue que celle que le magistrat à l’intention de prononcer. Or, en application de l’article L. 224-9 du CR, la mesure administrative prend fin quand est exécutoire la décision de justice. Si le tribunal de police prononce une peine de suspension inférieure à celle de la décision préfectorale, la décision judiciaire ne deviendra définitive qu’à l’épuisement des délais de recours.

 

Mais entre la date de l’audience et l’issue de ces délais, le conducteur ne retrouvera pas son droit de conduire puisque la décision judiciaire ne sera pas exécutoire.

 

Dans ces cas de figure, et lorsque le magistrat estime que sa décision doit se substituer le plus vite possible à la décision préfectorale, l’exécution provisoire est prononcée, ce qui a pour effet d’emporter cessation de la suspension administrative de façon immédiate et de redonner à l’intéressé le droit de conduire si celui-ci a déjà purgé, par imputation de la durée de suspension administrative déjà effectuée au jour de l’audience, la portion de suspension judiciaire. Cette utilisation est également, cette fois-ci dans le sens d’un avantage pour le condamné, un détournement du but de cet article.

 

 

 

L’existence d’une disposition originale permettant d’exécuter une peine pénale par provision, avant même que l’intéressé soit déclaré légalement et définitivement coupable, pose nécessairement la question de la compatibilité d’un tel principe avec les principes fondamentaux.

 

Sur le plan théorique, l’exécution provisoire d’une peine pénale heurte en premier lieu le principe du double degré de juridiction. Ce principe dispose que toute personne a droit à ce qu’une juridiction supérieure examine la condamnation prononcée par le premier juge. L’exercice de ce droit est parfaitement respecté par le droit français qui organise un double degré juridiction à la disposition des prévenus, d’abord jugés par un premier tribunal correctionnel en matière délictuelle ou de police en matière contraventionnelle, puis par une cour d’appel, le tout subissant un contrôle de légalité de la part de la Cour de Cassation.

 

En outre, l’exercice du droit d’appel suspend l’application du jugement, afin de préserver l’effectivité de ce droit d’appel.

 

Pour la presque totalité des contraventions et des délits du droit français, tous les prévenus bénéficient du droit de faire examiner une première décision par un deuxième juge. Le droit d’appel, et son caractère effectif par la suspension de l’exécution du jugement, ne pose pas de difficulté dans son principe. L’exécution provisoire remet en cause ce fonctionnement.

On soulignera que les peines du code de la route affectant le droit de conduire ne sont pas mineures, et qu’elles peuvent emporter, surtout en cas de longue durée, de graves conséquences. Elles privent l’intéressé du droit de conduire, moyen moderne aujourd’hui essentiel dans l’exercice de la liberté d’aller et venir, et dans la liberté d’exercer une profession.

La privation du droit de conduire peut impliquer chez le prévenu la privation du droit de travailler, et donc l’impossibilité de percevoir des revenus. Dans certains cas, elle pourra être une cause de licenciement. Cette peine peut donc revêtir un caractère de gravité extrême.

Dans le cadre de l’exécution provisoire, l’appel formé par le prévenu n’a aucune effectivité contre la peine pénale, qu’il subira avant même d’être entendu à ce sujet par le deuxième juge. Le juge d’appel, saisi d’une peine pénale déjà subie, ne pourra pas véritablement agir sur cette peine, en tout cas pas efficacement : s’il n’entend ne pas prononcer cette peine, ou encore s’il entend la minorer, la décision du deuxième juge n’aura aucune réalité, puisque qu’on ne pourra «rembourser» le prévenu des mois pendant lesquels son permis de conduire aura été suspendu ou annulé.

L’application de l’article L. 224-13 CR induit un dessaisissement du deuxième juge de la peine pénale subie par provision. Le juge d’appel ne sera donc pas un juge de pleine juridiction et ne pourra, en réalité, réformer en droit comme en fait une peine révolue.

Cet état de fait est d’autant plus grave que la peine prononcée par le premier juge peut être irrégulière et annulée, ou annulable par la cour d’appel. Dans ce dernier cas, le prévenu aura subi une peine illégale, sans aucune possibilité de s’en plaindre avant de comparaître devant le juge d’appel, qui ne pourra que constater que cette peine est révolue le jour où il va statuer.

Cette situation peut être paroxystique, notamment lorsque la peine est manifestement irrégulière, comme le cas se rencontre malheureusement parfois devant certains tribunaux de police, qui n’hésitent pas à prononcer des peines de suspensions de permis de conduire, alors que celle-ci n’est pas encourue. Si l’exécution provisoire est utilisée sur ce type de peine irrégulière, l’intéressé va subir par provision une peine qui n’est pas prévue par la loi, ce qui est particulièrement choquant, le tout sans aucun espoir d’indemnisation.

Sans l’exécution provisoire, ce type d’erreur n’aurait aucune importance, puisque le juge supérieur ne manquerait pas de corriger la bévue commise par le premier juge ; les erreurs étant envisageables, et précisément, le droit d’appel permet d’y remédier. Avec l’exécution provisoire la négation du droit d’appel est d’autant plus grave que le prévenu a été condamné à une peine illégale affectant son permis de conduire. L’effectivité du droit d’appel est donc indissociable de ce droit, qui est vidé de son sens s’il ne peut produire un effet de réforme réelle de la peine. L’exécution provisoire ôte toute effectivité du recours exercé contre les peines affectant le droit de conduire, en cela, il viole les principes les plus essentiels, et fonde l’injustice du code de la route.

Quel recours s’offre donc au conducteur frappé d’une peine de suspension de permis de conduire assortie de l’exécution provisoire ? Il en existe malheureusement bien peu. Durant le délai d’appel, la peine sera exécutoire, sans aucun espoir du côté de la Cour tant que l’affaire ne sera pas audiencée.

La seule solution est ainsi de solliciter une audience en chambre du conseil devant le tribunal ayant ordonné l’exécution provisoire. On demandera alors à cette juridiction de bien vouloir lever la mesure d’exécution provisoire, ou encore de réduire la durée de la peine de suspension. Cette solution se heurte à deux obstacles, dont le premier est majeur : une telle demande n’est recevable qu’après un délai de six mois à compter de la décision initiale.

Le risque de se voir opposer par le parquet ce délai est donc important. Le second écueil se conçoit facilement : il s’agit de solliciter la levée de la mesure d’exécution provisoire, prononcée on a vu dans des cas assez spéciaux, à la juridiction même qui l’a prononcée, avec donc  des chances toutes relatives de succès.

Globalement il est difficile de contrer une peine de suspension de permis assortie de l’exécution provisoire de l’article L. 224-13 CR. C’est évidemment le but recherché, mais c’est également pourquoi nous pensons que ce texte n’est pas conforme à nos principes et qu’il nous parait indispensable, dans notre état qui se veut et dit de droit, de juger d’abord et de ne pendre qu’ensuite.

 

 

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Le code de la route est injuste, car ceux qui détiennent le pouvoir normatif ne savent pas faire fonctionner l’Etat de droit. Ce mécanisme spécifique de structure sociale, est fondé sur l’organisation de la relation Etat/individus et individus entre eux par la norme juridique. Cette norme est à son tour organisée selon une hiérarchie des règles, au terme d’une compatibilité ascendante, la plus petite norme (l’arrêté), devant être nécessairement conforme à celle qui lui est supérieure, ce jusqu’à la règle suprême constitutionnelle.

Si ce principe, qui est le fondement même de l’Etat de droit, n’est pas respecté, toute la construction normative est viciée et vouée à l’échec, car le citoyen ressentira intrinsèquement cette irrégularité, engendrant la résistance à la norme injuste.

C’est parque le code de la route est lui-même une infraction permanente aux principes fondamentaux du droit que les conducteurs ne peuvent le respecter.

Dès la maternelle, on nous enseigne la valeur de l’exemple. Le code de la route nous montre ce qu’il ne faut pas faire. Il est un exemple permanent de la transgression de la règle de droit.

Que les rédacteurs de ce code se remettent en cause, qu’ils retournent à la faculté, qu’ils consultent nos textes fondamentaux, qu’ils lisent au moins une fois la convention européenne des droits de l’homme, qu’ils abandonnent enfin la démagogie.

Que l’administration ne demande pas à autrui ce qu’elle n’est pas capable d’appliquer elle-même.

Et lorsque que le code de la route sera enfin en phase avec le Droit, les conducteurs le respecteront car il sera respectable.

 

 

FRANK SAMSON

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